Cette série est née sur C.B.S. en 1959, de l’imagination fébrile et sans limites de son créateur et interprète occasionnel Rod Serling. Ancien boxeur, décoré au feu lors de la seconde guerre mondiale, il avait commencé avec Playhouse 90 (série anthologique de drames d’une heure et demie) qu’il avait abandonné, agacé par une censure et des contraintes trop pesantes de la part des annonceurs.
Ce qu’il voulait faire, c’est une série intelligente, quelque chose qui s’adresse à des adultes, à des gens qui regardent leur téléviseur comme on lit un livre, avec concentration et en acceptant d’y réfléchir. Les séries d’alors, comme la plupart de celles d’aujourd’hui, s’adressaient surtout soit aux hordes de ménagères américaines, soit aux jeunes avec les multiples séries de science-fiction ou espionnage pleines d’actions ou d’effets spéciaux. The Twilight Zone ne devait pas être racoleur. Pas de pistolets laser, pas de batailles de robots (Lost in Space), pas de sous-marin futuriste (Voyage to the Bottom of the Sea), pas de monstre Z très féroce (The Outer Limits) ni d’espions aux gadgets dans les souliers (The Man from U.N.C.L.E.). Pour lancer sa série, Rod Serling dût s’y reprendre à plusieurs fois avant de convaincre les responsables de chaîne, il dût réaliser trois pilotes, c’est à dire trois épisodes tests (on n’en fait d’habitude qu’un seul) avant que la formule ne soit acceptée (on comprend les réticences, puisque comme chacun sait, ce n’est pas toujours le moins débile qui fait le plus d’audience). En effet, son premier pilote, un téléfilm diffusé au sein de Desilu Playhouse déclenche un tollé enthousiaste au courrier, ce qui pousse C.B.S. à demander un second, puis un troisième pilote qui achève de les convaincre.
The Twilight Zone stimulait l’imagination au lieu de l’anesthésier. Les épisodes n’étaient pas servis tout épluchés; au lieu d’abrutir son public, celui-ci était entraîné dans les vastes champs de réflexions que les épisodes ouvraient à chacune de leur conclusion.
Souvent, Rod Serling introduisait lui-même les épisodes. Cigarette à la main, complet noir raide, sourire cynique, il explique, présente le personnage de l’épisode et donne un avant goût de son voyage « all the way to his appointed destination which, contrary to (… [his]) plan, happens to be in the darkest corner of the Twilight Zone » (Nightmare at 20,000 Feet). A l’origine, c’est Orson Welles que Rod Serling voulait, mais ce dernier était trop cher et il dût les faire lui-même. Il était tellement sensible, tremblant de trac, que c’est pendant ses répétitions que les opérateurs le filmaient, sans le lui dire.
Véritable démiurge, il ne nous fait pas oublier que c’est lui qui torture les personnages, avec ses histoires impossibles et alambiquées. Il aurait bien du mal, d’ailleurs, à nous le faire oublier car les destins malheureux de ses victimes en noir et blanc ne sont certainement pas classiques. Il est évident qu’ils sortent de l’esprit d’un romancier poète du fantastique et pas de l’évolution normale du scénario. Ces histoires sont dingues, partant de postulats simples, voire primaires, qui peuvent s’exprimer sous la forme de la petite question « Que se passerait-il si…? » Jugez par vous-même : que se passerait-il si un passionné de lecture se trouvait seul au monde (Time Enough at Last), si on donnait à un exilé pour tout compagnon un robot féminin (The Lonely), si un officier avait le don de voir à l’avance lesquels allaient mourir à la prochaine offensive (The Purple Testament), si quelqu’un se retrouvait dans la ville de son enfance (Walking Distance), si un jeune homme se réveillait pendant son enterrement (The Last Rites of Jeff Myrtlebank) ?
Les auteurs ne prétendaient nullement répondre à ces questions, mais juste à raconter un conte, entrouvrir la porte pendant une demie-heure et y laisser passer un rayon de magie. « Open the window… to your imagination » demande l’auteur au public, mais ça ne suffit pas, car c’est au spectateur de faire le pas suivant au delà du seuil de la fenêtre pour entrer dans le jeu. On peut encore rêver, après un épisode de The Twilight Zone, car la fugacité nous laisse sur notre faim avec des idées géniales et toute une richesse. On est tenté de poursuivre pour soi les implications chimériques de l’idée qu’a exprimé l’auteur. C’est clair, chaque épisode peut-être développé en long métrage ou en roman. D’ailleurs, de nombreux auteurs ne s’en sont pas privés (Steven Spielberg, John Landis, David Cronenberg, John Carpenter pour ne citer qu’eux).
Ces auteurs pourtant, surtout les autres car ceux-là sont plutôt bons, auraient mieux fait de s’inspirer de la méthode plutôt que des thèmes. Dans ces épisodes, aucun effet spécial, aucune scène déshabillée ni outrancièrement violente. La sobriété est de rigueur. De temps en temps, une soucoupe volante en aluminium (The Invaders) ou un comédien déguisé en créature humanoïde (To Serve Man) apparaît, mais ce sont là les seuls artifices. Avec ça, uniquement par leur pouvoir de suggestion, les auteurs nous ont fait frissonner, paniquer, trembler, atteindre des sommets d’angoisse.
Dans tous les cas, la clé du spectacle était dans le scénario. La magie, pour la plupart des histoires, c’était la façon dont l’univers bascule au détour d’un dialogue, d’une scène. Subitement ou insidieusement, il y a un réel passage dans la « zone crépusculaire » (traduction littérale de twilight zone). Ce passage peut se faire au début : comme pour ce camelot qui rencontre un homme en complet noir qui prétend être sa mort et à qui il devra faire son boniment (One for the Angels) ; comme pour ces habitants de Maple Street qui sont persuadés qu’il y a un extraterrestre parmi eux parce qu’un vaisseau spatial s’est posé quelque part et que le courant a des perturbations (The Monsters Are Due on Maple Street) ; comme pour ce pionnier, en 1847, perdu dans le désert, qui tombe sur une autoroute et se retrouve en 1961 (A Hundred Yards over the Rim). Le passage peut aussi se faire à la fin, en un dénouement renversant, mais ne compte pas sur moi pour te raconter People Are Alike all over, I Shot an Arrow into the Air ou The Grave…